Culture 24 octobre 2023

Une régie de culture basée sur le semis direct

La Ferme Quiko, située à Saint-Ignace-de-Stanbridge, en Estrie, cultive 300 acres dans une rotation diversifiée : maïs-soya, blé d’automne, seigle d’automne et foin. L’entreprise de la famille Quintal, qui possède en moyenne 85 vaches à la traite pour un quota de 125 kg/j, s’est tranquillement convertie au semis direct au début des années 2000 et n’a jamais regardé en arrière.

« On aime bien faire le maïs en semis direct après les retours de prairies sans nécessairement travailler les sols. Les retours de soya sont implantés de cette façon-là aussi », confirme Francis Quintal. Le jeune producteur qui incarne la relève de l’entreprise familiale l’avoue d’emblée : l’engouement de sa ferme pour cette méthode culturale repose en partie sur un souci d’économie des intrants. « Ça nous coûte beaucoup moins cher de carburant et d’équipements de travail. Les machines pour travailler le sol sont souvent celles qui exigent les plus gros tracteurs », expose-t-il. L’autre effet positif majeur réside dans une meilleure performance des sols, qui se manifeste entre autres par une perméabilité accrue et des rendements plus stables, pour une moyenne entre 1,6 et 1,8 t/acre dans le soya et entre 4,5 et 5 t/acre dans le maïs. « Malgré les conditions extrêmes comme celles qu’on a eues, on s’en sort toujours avec des rendements relativement bons. On n’a pas été trop touchés par les déluges de cet été. Le sol absorbe mieux les surplus d’eau, il est plus poreux et l’eau s’écoule plus en profondeur en raison du travail des vers de terre », affirme le producteur, pour qui la contribution de ces précieux ouvriers souterrains se confirme au fil des saisons. « Nous sommes équipés d’une étable sur litière accumulée compostée. L’an passé, on a mis une couche de compost sur l’un de nos champs de soya, et au printemps, on n’en voyait plus du tout. Les vers de terre font le ­travail. C’est vraiment quelque chose que l’on constate à la ferme », témoigne le producteur.

Le producteur Francis Quintal, dans un champ d’engrais verts (moutarde, radis huileux, avoine/pois) implanté sur retour de blé d’hiver au mois d’août. Gracieuseté de la Ferme Quiko

Une transition progressive

Cette conversion vers le travail réduit du sol s’est opérée de façon très graduelle. « Mon père [Ghislain] avait commencé bien avant que j’arrive à la ferme. Il n’aimait pas passer la charrue à l’automne où, souvent, les conditions ne sont pas propices aux beaux travaux », raconte Francis. « Ensuite, on s’est équipés d’un semoir pour semis direct, puis aujourd’hui, on l’applique au maximum », explique le producteur, qui a adapté ses pratiques pour obtenir l’effet recherché. « Il y a quatre ou cinq ans, on utilisait un “offset”, qu’on a ensuite changé pour du travail vertical pour que ce soit moins agressif », relate l’agriculteur, qui reconnaît que son sol de loam sableux lui facilite la tâche.

C’est un sol qui pardonne. Même si on doit forcer un petit peu pour passer dans le champ au moment de la récolte, on n’aura pas de gros travaux à faire pour corriger cette compaction-là. Aujourd’hui, on fait du travail réduit pour incorporer le fumier liquide, pour ne pas perdre l’azote par volatilisation, en passant un petit coup de herse verticale. Le fumier solide, qui n’a pas de volatilité, n’est même pas incorporé.

Francis Quintal, producteur
Philippe Jetten-Vigeant, agronome

Valoriser les apports : les trois piliers du succès 

Selon Philippe Jetten-Vigeant, conseiller en agroenvironnement chez Dura-Club, cette méthode qui consiste à laisser les apports en surface contribue à favoriser la matière organique essentielle à l’efficacité du semis direct. « La Ferme Quiko mise sur des apports importants grâce à ses fumiers et à ses résidus de cultures très variés. La quantité et la diversité des apports sont deux aspects importants de la matière organique », explique l’agronome, qui conseille les Quintal dans leurs démarches. « Le troisième consiste à simplement éviter d’enfouir trop profondément les apports. C’est ce qui va permettre aux organismes qui travaillent en surface, comme les insectes ou les vers de terre, de faire le broyage primaire et d’amener ces particules en profondeur, où les bactéries et les champignons prendront le relais pour les intégrer », ­illustre-t-il. « Lorsqu’on enfouit trop les résidus, les insectes et les vers ne trouvent plus leur ­nourriture et leurs populations tendent à stagner, ce qui nuit à l’incorporation de ces nutriments. Bâtir la santé d’un sol prend des dizaines d’années, alors que la détruire peut se faire en un passage », expose l’agronome.

Des méthodes complémentaires

Pour M. Jetten-Vigeant, il faut nuancer la perception voulant que le semis direct exclue toute forme de travail de sol. Une perspective qui peut intimider certains producteurs. « Les entreprises comme la Ferme Quiko, qui travaillent en semis direct, mais possèdent aussi des fumiers liquides, doivent prévenir la volatilisation de l’azote », affirme l’agronome. « Travailler légèrement en surface pour s’assurer que l’azote est bien utilisé par les cultures ne compromet pas le principe du semis direct, mais l’inscrit plutôt dans une gestion raisonnée au sens large », soutient-il. Un argument qui corrige une autre idée reçue, voulant que l’incorporation du fumier doive absolument s’effectuer en profondeur. « En réalité, il suffit de brasser un petit peu la surface du sol pour mélanger le sol au fumier. Dans un contexte d’utilisation raisonnée de nos engrais de ferme, une légère incorporation demeure souhaitable », dit-il. En somme, le semis direct s’introduit d’abord en se questionnant sur la nécessité des travaux de sol qu’on fait, dans une approche globale de santé des sols.